Sylvain Prudhomme portrait
Entretiens / Livres

Sylvain Prudhomme
Lignes de crête

Au plus près des sensations, au coeur des moments clés de l’existence (l’amour, la vieillesse, le deuil), Sylvain Prudhomme signe un recueil d’histoires brèves où palpitent les épreuves qui nous révèlent à nous-même.

Encouragé par le succès de Par les routes (Prix Femina 2019), Sylvain Prudhomme (Légende) poursuit un travail de fiction nourri à l’estompe, d’une rare subtilité. Dans Les orages, l’écrivain rassemble une douzaine d’histoires brèves où chaque personnage, saisi en un instant de bascule, va puiser un sursaut, une recharge d’énergie, un éclair de résilience : “tout le temps qu’il faut pour construire et comme détruire est simple”. Sur le bord de la route, voiture garée en catastrophe, un homme en larmes ayant veillé deux semaines son enfant hospitalisé entre la vie et la mort. Ici, un grand-père dont la mémoire flanche se saisit avec empressement du taille-haie pour défendre le talus contre les ajoncs. Quelle mouche le pique? Là, parents et narrateur, en route vers le cimetière, abordent le sujet longtemps repoussé des obsèques. Quand les épreuves réveillent une force, un élan, les moments intenses, sur le fil, font tribu et rassemblent : “Qu’arrive-t-il de si important, au cours d’une journée, qu’il soit trop tard le soir pour y faire face?” Du pain béni pour Prudhomme, champion des éclaircies, qui plante décor et mots, ceux de la vie, tiens, pof, intacts, débroussaille l’essentiel parmi les vies engorgées.

Les orages se présente comme un recueil d’histoires. Vous préférez éviter l’appellation nouvelles?

Oui. J’ai l’impression que la nouvelle relève d’un art, presque d’un genre, cultivé avec toute son histoire : cette idée d’un métier, de sertir quelque chose de parfaitement tenu. C’est une maîtrise que je ne prétends pas du tout avoir. Bien sûr, j’espère, livre après livre, avoir développé une façon de regarder les choses, de me débrouiller avec la langue. J’avais plutôt l’impression de chercher la perte de contrôle, que c’étaient des coups de sonde, l’intuition de situations. Tenter de m’installer dans un instant et de le faire vibrer aussi longtemps qu’il continuait de me surprendre. Puis quitter les personnages dès que le désir retombait. J’avais envie que ça coïncide le plus possible.

Chaque histoire plonge rapidement au coeur du basculement vécu par les personnages. C’est cette ligne de crête, d’intensité, qui relie les textes?

Aller tout de suite au coeur du moment décisif, ça met l’accent sur les sensations : écrire le présent de ce qui est vécu, cette intensité sensible. J’avais envie de quelque chose de très uni, cohérent en termes de questions. Dans mes romans, c’est ce genre de bascules que j’aime raconter : des moments clé, des tournants de certaines existences. Je souhaitais resserrer davantage sur ces moments décisifs et peut-être en savoir moins sur les personnages… Simplement les observer dans des moments comme ça, où quelque chose les effleure, parfois les percute pour de vrai, un coup du sort. J’ai voulu aussi recréer de l’intensité basse : des textes d’attente, comme La baignoire, où il ne se passe presque rien. Un peu comme quand on fait un album, où on soigne ses histoires de rythmes, de contrastes.

Au travers de la crise, vos personnages se découvrent des ressources insoupçonnées. Une façon de cultiver le rebond, la résilience?

La crise, c’est à la fois douloureux, menaçant, mais c’est le moment où des choses se décident. Pour que quelque chose arrive, il faut que quelque chose parte. J’aime ces moments pour tout ce qu’ils permettent de neuf. Je crois profondément à la dimension d’épreuve qui nous révèle à nous-même. Réveiller des parties de nous qui étaient engourdies par l’habitude. C’est une question que je me pose aussi bien dans les livres que dans la vie : comment rester vivant? J’avais été très intéressé par des architectes qui essayaient de construire un peu d’une autre façon et qui défendaient l’idée que l’inconfort nous pousse dans nos retranchements, nous maintient éveillés.

Le livre donne l’impression d’entrelacer la fiction et le vécu. Peut-on dire qu’on vous y devine davantage?

La première histoire, c’est mon enfant. Comme si je retournais en pensée dans cette chambre d’hôpital où j’ai effectivement dormi deux semaines. J’arrive à le raconter parce que je passe par un récit rapporté. Ça m’intéresse que ça soit poreux : je crois beaucoup à un rapport complexe de la fiction et de l’aveu, de ce qu’on dit de nous. Plus on met de masques, plus on ose dire de choses. C’est un livre plus personnel, presque des instantanés de choses vécues. Je n’en finis pas d’être étonné de toutes les formes que ça prend, de l’exploration de soi. Le décollement par rapport à ce qui se donnerait comme purement autobiographique, ça crée un jeu, une respiration riche de possibles. Et ça laisse au lecteur plus de place pour circuler à sa façon, en le faisant sien.

Quand survient la question de la maladie ou de la mort, vos personnages accueillent avec bienveillance ce qui leur arrive. C’est important de garder cette lumière?

Effectivement, il y a souvent quelque chose de l’ordre d’un accord. Même si c’est quelque chose de grave, de parfois très dur, les personnages gardent cet appétit de vivre, ou leur appétit se déplace, renaît à la fin. Ils ne sont pas dans le conflit avec ce qui est en train de leur arriver, en prennent leur parti : bon, que cela soit. J’aime raconter ce mouvement d’assentiment, y compris l’adversité. Je voyais que beaucoup de choses se terminaient souvent par une sorte de lumière qui revenait. C’est un peu programmatique dans le titre : après l’orage, le soleil revient (sourire)

LES ORAGES, SYLVAIN PRUDHOMME, L’ARBALÈTE / GALLIMARD, 192 PAGES, PHOTO © FRANCESCA MANTOVANI