Sébastien Bailly
Comme un seul homme
Avec Parfois l’homme, lauréat du Prix Première 2024, Sébastien Bailly signe un savoureux roman sans héros et sans action, où il ferait bon piocher si on ne dévorait pas tout avec une égale gourmandise. Vous reprendrez bien du dessert?
Jadis journaliste pour Télérama et Libé, aujourd’hui formateur en communication, Sébastien Bailly franchit le pas du premier roman avec une proposition originale. Sans héros et « sans action », Parfois l’homme retrace les étapes de la vie d’un anonyme, de la naissance à la mort, tout en se détachant de l’austérité du nouveau roman comme des canons hollywoodiens. « Lire Claude Simon, c’est une merveille, mais cela touche un tout petit pourcentage de la population. Quant aux histoires lambda où le héros s’en sort quoiqu’il arrive, ça me gonfle. Dans la vraie vie on n’est jamais le héros qu’on voudrait être, c’est hyper déceptif. L’idée, c’est de montrer qu’on ne maîtrise rien et qu’on fait avec ce qu’on a. »
Soit une collection d’instants de vie s’égrenant en de courts chapitres, écrits d’une foulée, portés par un tempo jubilatoire. « Dans le mouvement de l’écriture, il y a ce plaisir là. Comme un musicien a besoin d’être dans le bon flow, c’est à cette condition que ça peut se transmettre. Mon objectif était que le lecteur ne puise pas arrêter de lire. » Pari gagné : ce flow serti d’un humour savoureux et piquant convoque une forme d’élégance entre Perec et Desproges. « Le comique, au sens noble, est une histoire de précision, tout en faisant en sorte que cela se voie le moins possible. Ça raconte la vie d’un homme, c’est donc relativement tragique ou pathétique. Il faut du recul, du second degré, des clins d’oeil au lecteur qui allègent le propos. »
Porté par des retours très enthousiastes, le primo-romancier de 55 ans découvre la rencontre avec ses lecteurs, désireux de témoigner combien ils se reconnaissent dans son écriture. « J’ai gardé le manuscrit pendant six mois, j’avais la trouille. Puis le texte a rencontré son éditeur : un petit miracle comme il en arrive de temps en temps dans ces métiers. Je n’avais pas pensé que les gens allaient se retrouver à ce point. » S’il songe déjà à la suite (« le piège c’est de refaire le même livre »), le lauréat du Prix Première ne boude pas son plaisir. « C’est une vraie surprise et un bonheur qui ne se dément pas. Que cet humour là plaise en Belgique, pour le coup, ne me surprend pas forcément. » Régalade!
Nouveau né poussant son cri, il est là, voilà l’homme. « On s’extasie. Ses parents n’osent pas le trouver hideux ». Bientôt, à peine sorti du landau, il commencera à épousseter derrière lui, effaçant toute trace de ses scories. Pourtant, chacun sait : choyé, nourri, soigné, blanchi, il a fait ses dents, attendant l’heure de réclamer son dû – un deux roues motorisé. En échange, l’homme promet de grandes choses, enfin on verra… « Ce qu’on perd vite, tout de même… plus question de mettre son pied dans sa bouche et cela laisse tout le monde de marbre. » Déjà l’individu a rendez-vous avec un destin. Il s’entiche d’une girafe en caoutchouc, collectionne les timbres, tient un journal intime, s’épile le torse, cuisine des brocolis, forme un « beau petit couple », change la cartouche d’encre de l’imprimante, suit son premier cercueil. Bref, il ne chôme pas, enfin pas toujours. Face à ses responsabilités, ses doutes, ses dysfonctionnements, l’homme fait front. « Ses lacets se défont? Qu’importe : il vit avec. » En une centaine de courts chapitres égrenés chronologiquement comme autant de saynètes espiègles, Bailly croque les étapes marquantes de l’existence. Faits et gestes incontournables, us et coutumes, habitat et habitus se bousculent en une compression de César. Malicieux, pince-sans-rire, tendre, Bailly détricote l’intime moulé par le justaucorps de nos expériences communes.
PARFOIS L’HOMME, SÉBASTIEN BAILLY, LE TRIPODE, 192 PAGES.