Gaspard Koenig
Trou de ver
À défaut du Goncourt, Humus remporte le Prix Interallié et le Prix Jean Giono. Un sacre mérité pour ce roman d’apprentissage éco-anxieux et féroce.
Arthur et Kevin se rencontrent lors de leurs études d’ingénieurs agronomes – « paysans des ingénieurs, tiers état des énarques ». Les deux amis se passionnent pour le rôle crucial du lombric, garant de la fertilisation des sols. Sans humus, plus d’humain, aussi leur population décimée sous les pesticides s’apparente-t-elle à un écocide. Ayant pour héros Henry David Thoreau, Arthur aspire à un idéal d’homme libre. Dans une ferme abandonnée de Normandie, le néorural radicalisé milite pour la résurrection des sols, choisissant la voie du repeuplement des vers de terre par inoculation. Le projet de Kevin s’avère plus modestement commercial : vendre des vermi-composteurs design aux bobos culpabilisés par leur montagne de déchets. Propulsé millionaire virtuel suite à un soulèvement de fonds surgi de la Silicon Valley, l’entrepreneur écolo à la mode projette de recycler un quart des déchets organiques du pays. Entre les compères, le fossé se creuse irrémédiablement.
Face à l’appauvrissement des écosystèmes par le productivisme agro-industriel, Gaspard Koenig entame un chant de désobéissance civique. Bifurqueurs dénonçant l’agribusiness sous les vivats de camarades recrutés chez Danone, militants d’Extinction Rebellion prêts à prendre les armes, marigot médiatique, Greenwashing, l’essayiste et philosophe laboure profondément son sillon. Féroce, solide sur le fond comme sur la forme, parabole écologique et roman d’apprentissage se confondent. Consciente du rôle du ver de terre pour fertiliser la vallée du Nil, Cléopatre lui octroya un statut semi-divin… Elle avait du nez, à l’instar des jurys du Prix Jean Giono et de l’Interallié.