Francis Navarre
Jesus was a carpenter
« Les vocations manuelles rencontrent peu l’agrément des familles, pas plus la considération publique « Vous êtes maçon, quel beau métier! » » Sans geste superflu, la langue ravivée, le charpentier Francis Navarre chante les vertus du travail bien fait. Engageant et engagé!
Ayant toujours « trois fers au feu », Francis Navarre a roulé sa bosse. Recalé au bac, il épouse la vocation de charpentier, ses vertus austères. Entré chez les Compagnons, il acquiert les rudiments du métier : « juste de quoi piger dès la première embauche que je ne sais rien. » S’en suit la découverte du boulot en grande banlieue, auprès de collègues durs à la tâche, presque tous portugais. La semaine excède cinquante heures? « On avait en 1973 inventé le chômage. (…) La pénurie enseigne le tact. »
L’artisan assemble des pavillons préfabriqués au salon aéronautique du Bourget, rénove un hôtel de luxe aux Champs-Élysées. Au coeur du foutoir des chantiers, le récit de vie se découvre parcours éthique. Lorsque contrats léonins et délais draconiens ratiboisent la politesse, l’amour du travail bien fait tient lieu de boussole. Au gré de ses pérégrinations, le bourlingueur atterrit tantôt Tintin en Amérique, tantôt working class hero en RDA.
Dans les soutes de la société, à mille lieues de l’hédonisme post-industriel et du coworking, Navarre jette un sort aux bullshits jobs et leurs sinécures. Passionné de littérature, d’art abstrait, construisant des bateaux, le maître d’oeuvre en remontre à bien des apprentis. Mortaises, jambettes et contrefiches, la nomenclature technique côtoie un amour d’une langue chantournée. Avec gouaille et dextérité, un peu à la façon dont Nan Aurousseau enfilait le Bleu de chauffe, Navarre se raconte, chante les heurts et malheurs du métier, son art de faire, dressant haut la poutre maîtresse du « bonheur de comprendre ou de façonner un objet qui ne me trahisse pas ». De la belle ouvrage.