Livres

Étienne Kern
Le discours de la méthode

Étienne Kern se penche sur la trajectoire retentissante d’Émile Coué et sa fameuse méthode. Un roman biographique et mélancolique d’une rare délicatesse. 

Tout le monde connaît la célèbre méthode Coué. Basée sur le pouvoir de l’autosuggestion, elle repose sur une forme d’optimisme volontaire, prescrivant que toute idée gravée dans l’esprit tend à devenir une réalité dans l’ordre du possible. Vers 1884, son intuition jaillit dans l’esprit d’un pharmacien de province après avoir confectionné un placebo pour une cliente récalcitrante… Aussitôt dit, aussitôt fait, initialement séduit par l’hypnose, Émile Coué tient sa recette et devient « malgré lui » le père de la pensée positive : « (…) pas une technique, pas un traitement, la Méthode, la sienne. »

Avant la gloire, avant le remède, il y a le désir et le besoin de croire. Le chemin sera long mais, des années plus tard, le « petit professeur d’optimisme » est partout. La Lorraine bientôt conquise, la méthode connaît un succès retentissant. Avec 100.000 exemplaires vendus en trois ans, son livre (La maîtrise de soi-même par l’autosuggestion consciente) fait un malheur. La presse ne parle que de lui. En 1922, au faîte de sa gloire, les instituts Coué fleurissent à Paris, Bruxelles, New York. On ne tarit pas d’éloge quant aux bienfaits visionnaires du petit pharmacien français devenu Miracle Man

« L’esprit est un champ, il faut le labourer, il faut semer. »

Dans sa forme, le roman biographique rappelle les « vies imaginaires » qu’Echenoz consacra à Ravel, Zátopek ou Nicolas Tesla. Si les faits sont datés, prenant leur source dans les archives, Étienne Kern (Les Envolés, Goncourt du Premier roman) prend soin de la dimension romanesque d’un récit dont il lui reste presque tout à inventer. Ainsi la place centrale tenue par l’épouse, Lucie Lemoine, héroïne discrète de ce compagnonnage amoureux au long cours. « Ils découvrent les faux pas, ce qu’il ne fallait pas dire et combien l’on dépend toujours les uns des autres. »

Visitant la maison de Nancy, rencontrant un parent, l’auteur souligne les ambiguïtés du personnage – éternel orgueilleux réclamant qu’on l’admire. Rabâchant la même rengaine, les mêmes punchlines, les mêmes salades, Coué cherche à cautériser les blessures de l’enfance. Et Kern d’instiller en discrets apartés les doutes qui l’assaillent dans son travail d’écrivain, ciselant la résurgence émue d’un drame personnel, participant à un stage de formation à la méthode : « Je peux écrire ce livre facilement. » (ad libitum). C’est qu’au fond, dans le parcours balbutiant et inouï d’Émile niche un amour incommensurable des mots, leur pouvoir de guérison. Pour dire l’enfance pas tout à fait partie, le bonheur dans les yeux, le besoin sans fond d’aller mieux, La vie meilleure se pare d’un charme mélancolique et précieux.

LA VIE MEILLEURE, GALLIMARD, 192 PAGES. PHOTO F. MANTOVANI © GALLIMARD.